Blanchiment d’argent : suppression de l’impunité en cas de fraude fiscale simple
Laurent KENNES : "Blanchiment d’argent : suppression de l’impunité"
  1. Le principe de la modification

01. La loi du 18 janvier 2024 « visant à rendre la justice plus humaine, plus rapide et plus ferme III », entrée en vigueur le 5 février 2024, a instauré une procédure accélérée adaptée aux cas de détention préventive dont la presse s’est faite l’écho. Pourtant, une autre modification fondamentale pour les étudiants du droit pénal des affaires a été adoptée par la même loi.

Deux formes de blanchiment d’argent connaissaient en effet une exception lorsque l’origine délictueuse de l’objet du blanchiment était une fraude fiscale simple, et donc s’il existait un doute non pas d’une origine délictueuse mais bien de la nature de l’infraction primaire. Cette exception a été supprimée. En revanche, pour les mêmes deux formes de blanchiment et en cas de respect de la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces, les assujettis à ladite législation bénéficient d’une cause d’excuse absolutoire. 

Ce préalable mérite bien quelques développements.

  1. L’article 505 du Code pénal avant l’entrée en vigueur de la loi du 18 janvier 2024

02. Le texte de l’article 505 du Code pénal était libellé, dans ses 4 premiers alinéas, de la manière suivante :

« Seront punis d’un emprisonnement de quinze jours à cinq ans et d’une amende de vingt-six euros à cent mille euros ou d’une de ces peines seulement :

1° ceux qui auront recelé, en tout ou en partie, les biens enlevés, détournés ou obtenus à l’aide d’un crime ou d’un délit1;
2° Ceux qui auront acheté, reçu en échange ou à titre gratuit possédé, gardé ou géré des choses visées à l’article 42, 3°, alors qu’ils en connaissent ou devaient en connaître l’origine ;
3° Ceux qui auront converti ou transféré des choses visées à l’article 42, 3°, dans le but de dissimuler ou de déguiser leur origine illicite ou d’aider toute personne qui est impliquée dans la réalisation de l’infraction d’où proviennent ces choses, à échapper aux conséquences juridiques de ses actes ;
4° Ceux qui auront dissimulé ou déguisé la nature, l’origine, l’emplacement, la disposition, le mouvement ou la propriété des choses visées à l’article 42, 3°, alors qu’ils en connaissaient ou devaient en connaître l’origine2.

Les infractions visées à l’alinéa 1er, 3° et 4°, existent même si leur auteur est également auteur, coauteur ou complice de l’infraction d’où proviennent les choses visées à l’article 42, 3°. Les infractions visées à l’alinéa 1er, 1° et 2° existent même si leur auteur est également auteur, coauteur ou complice de l’infraction d’où proviennent les choses visées à l’article 42, 3°, lorsque cette infraction a été commise à l’étranger et ne peut pas être poursuivie en Belgique.

Sauf à l’égard de l’auteur, du coauteur ou du complice de l’infraction d’où proviennent les choses visées à l’article 42, 3°, les infractions visées à l’alinéa 1er, 2° et 4°, ont trait exclusivement, en matière fiscale, à des faits commis dans le cadre de fraude fiscale grave, organisée ou non.

Les organismes et les personnes visés aux articles 2, 2bis et 2ter de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, peuvent se prévaloir de l’alinéa précédent dans la mesure où, à l’égard des faits y visés, ils se sont conformés à l’obligation prévue à l’article 28 de la loi du 11 janvier 1993 qui règle les modalités de la communication d’informations à la Cellule de traitement des Informations financières. »

Ce sont les deux parties surlignées qui ont fait l’objet de modifications.

03. Les trois catégories de blanchiment d’argent sont évoqués aux 2°, 3° et 4° du premier alinéa de l’article 505 du Code pénal. 

L’article 505, alinéa 1er, 2° qui incrimine le fait d’avoir « acheté, reçu en échange ou à titre gratuit, possédé, gardé ou géré » des avoirs illégaux. Sont considérés comme des actes de possession le fait d’ouvrir un compte à son nom, de transférer de l’argent d’un compte à un autre3, de procéder à des retraits d’argent en espèces4 ou, encore, d’acquérir des biens mobiliers et immobiliers5. Ces opérations constituent de simples actes de gestion d’un patrimoine, fût-il d’origine illégal, dans la mesure où il ne laisse apparaître aucun indice de dissimulation ou de déguisement. Ces opérations sont « claires, apparentes et univoques »6. Il n’y a pas de mécanisme de camouflage lequel est, en revanche, exigé pour les deux autres formes de blanchiment, telles que visées à l’article 505, alinéa 1er, 3° et 4°. Ces deux autres infractions supposent une faute « nouvelle […] et supplémentaire visant à rendre (les avantages patrimoniaux) délibérément plus difficiles à identifier ou à localiser »7.

L’infraction prévue à l’article 505, alinéa 1er, 2° n’exige pas d’intention particulière sur le plan moral. Il suffit donc que le prévenu ait eu connaissance ou « devait connaître » l’origine illicite de l’argent pour que la prévention soit déclarée établie à son encontre.Concernant l’élément de connaissance, si le législateur a assoupli la charge de la preuve en admettant la condamnation d’une personne qui aurait dû connaître l’origine illégale des biens, il n’a pas pour autant fait de l’infraction de blanchiment un délit par imprudence8. La négligence de l’auteur ne suffit pas pour être condamné. Par ailleurs, cette connaissance doit exister au début des opérations litigieuses.

Lorsque le blanchiment consiste en un acte de gestion au sens large du terme, il fallait avoir égard à deux règles particulières. 

La première est fixée par l’article 505, alinéa 2 qui est rédigé comme suit : « Les infractions visées à l’alinéa 1er, 1° (le recel) et 2° existent même si leur auteur est également auteur, coauteur ou complice de l’infraction d’où proviennent les choses visées à l’article 42, 3°, lorsque cette infraction a été commise à l’étranger et ne peut pas être poursuivie en Belgique ». La règle est donc la suivante. En principe, si l’auteur du blanchiment fondé sur l’article 505, alinéa 1er, 2° est également l’auteur de l’infraction primairequi a généré les bénéfices illégaux blanchis, ce dernier ne pourra pas être poursuivi du chef de blanchiment, sauf si l’infraction primaire a été commise à l’étranger et ne peut pas être poursuivie en Belgique. Il s’ensuit que le prévenu qui commet un trafic de stupéfiants en Belgique, qui en retire des bénéfices illégaux et qui, avec cet argent, s’achète une maison en nom propre, ne sera pas poursuivi du chef de blanchiment au sens du 2°. En revanche, si le trafic de stupéfiants a été commis exclusivement aux Pays-Bas, que son auteur blanchit les avoirs illicites en Belgique et qu’il ne peut pas être poursuivi sur le territoire belge pour l’infraction primaire, il pourra être condamné de ce chef.

La deuxième règle se trouvait à l’alinéa 3 de l’article 5059 : « Sauf à l’égard de l’auteur, du coauteur ou du complice de l’infraction d’où proviennent les choses visées à l’article 42, 3°, les infractions visées à l’article 505, alinéa 1er, 2° et 4°, ont trait exclusivement, en matière fiscale, à des faits commis dans le cadre de la fraude fiscale grave organisée ou non »10.

Par conséquent, la poursuite d’un prévenu du chef de blanchiment sur pied de l’article 505, alinéa 1er, 2° et 4° – et donc notamment (2°) lorsqu’il s’agit d’actes de simple gestion de patrimoine –, était exclue lorsque l’infraction primaire, soit celle qui a généré les revenus illicites, est une infraction de fraude fiscale simple. Il est précisé qu’il en allait autrement si le prévenu est considéré comme auteur, coauteur ou complice de la fraude fiscale. Cette exception à l’exception n’a de sens que pour l’article 505, alinéa 1er, 4° (voir point D) ainsi que pour l’hypothèse où l’infraction primaire a été commise à l’étranger (voir 1re règle). En d’autres termes, lorsque l’infraction primaire est une fraude fiscale simple, l’acte de gestion du patrimoine ainsi mal acquis n’est pas constitutif d’une infraction, sauf lorsque le gestionnaire a également commis la fraude fiscale et qu’il a commis celle-ci à l’étranger.

Cette même règle existait pour les actes de dissimulation ou déguisement de la nature, l’origine, de l’emplacement, de la disposition ou du mouvement de l’avantage patrimonial tiré d’une infraction, troisième catégorie de blanchiment d’argent. 

Cette seconde règle s’avérait salutaire pour des prévenus pour des actes dont l’objectif n’était pas de dissimuler une origine délictueuse mais simplement de gérer des biens. Tel était le cas lorsqu’un héritier découvrait l’existence d’un patrimoine à l’étranger, dont il doutait de la provenance parfaitement licite du défunt et qu’il transférait son héritage vers un compte belge, soupçonnant une éventuelle fraude fiscale. 

  1. La modification intervenue 
  1. La suppression de l’immunité du co-auteur en cas de fraude fiscale simple

04. Le législateur a purement et simplement supprimé le troisième alinéa de l’article 505 du Code pénal.

Toute personnes acte de gestion d’un avantage patrimonial tiré d’une fraude fiscale simple commise par un tiers se rend dorénavant coupable d’une infraction de blanchiment d’argent. 

  1. Une cause d’excuse absolutoire pour les entités assujetties

05. Il n’en demeure pas moins une cause d’excuse absolutoire prévue dans un nouvel alinéa 3 (le 4ème étant supprimé lui aussi. Il est dorénavant prévu que les entités assujetties telles que visées à l’article 5, §§ 1er et 4 de la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces, ainsi que leurs administrateurs, préposés et mandataires, sont exempts de peine pour les infractions visées à l’alinéa 1er, 2° et 4°, dans la mesure où, en ce qui concerne les faits concernés commis dans le cadre de la fraude fiscale autre que la fraude fiscale grave, organisée ou non, ils se sont conformés à la législation et à la réglementation en matière de lutte contre la fraude fiscale y compris celles découlant de la loi du 18 septembre 2017.

Cette cause d’excuse ne vaut que pour les actes de gestion d’un avantage patrimonial illégal, d’une part, pour les actes de dissimulation ou de déguisement d’autre part. 

Les actes de transfert ou de conversion d’un avantage patrimonial posés dans le but de dissimuler leur origine illicite ou d’aider toute personne qui est impliquée dans la réalisation de l’infraction d’où proviennent ces choses, à échapper aux conséquences juridiques de ses actes, ne sont pas concernés par cette cause d’excuse. L’intention requise implique nécessairement qu’il y a infraction et que l’auteur ne peut être exempté ni de poursuites ni de peine. 

06. En d’autres termes, l’assujetti qui a participé à la gestion d’un avantage patrimonial tiré d’une fraude fiscale simple est excusé s’il a respecté la loi relative à la prévention de blanchiment. 

  1. Une circonstance aggravante pour les assujettis et le cadre criminel de l’organisation du blanchiment

07. L’article 505ter du Code pénal dispose dorénavant que l’auteur de l’infraction est une entité assujettie à la législation européen de prévention du blanchiment d’argent et qui commit l’infraction dans l’exercice de ses activités professionnelles encourt une peine, non pas de 15 jours à 5 ans d’emprisonnement mais de 3 à 5 ans d’emprisonnement et/ou d’une amende de 10.000 à 200.000€ (au lieu de 26 à 100.000€. Majoré des décimes additionnels, l’amende est donc de 80.000 à 1.600.000€. 

La même peine est encourue si l’infraction est commise dans le cadre d’une organisation criminelle telle que définie à l’article 324bisdu Code pénal.

  1. Le recel et le blanchiment dans le nouveau Code pénal

08. Rappelons que le nouveau code pénal a été voté le 8 avril 2024 et entrera en vigueur le 8 avril 2026. L’article 502 du nouveau code pénal est libellé en des termes plus simples que l’article 505 actuel. 

« Le blanchiment

Le blanchiment consiste pour une personne à:

1° acquérir, recevoir à titre gratuit, garder, gérer ou posséder délibérément des avantages patrimoniaux tirés d’une infraction, des biens ou valeurs qui leur ont été substitués ou les revenus de ces avantages investis alors que l’auteur connaissait ou devait connaître l’origine de ces choses au début de ces opérations, ou;
2° convertir ou transférer des choses visées au 1°, dans le but de dissimuler ou de déguiser leur origine illicite ou d’aider toute personne qui est impliquée dans l’infraction initiale, à échapper aux conséquences juridiques de ses actes, alors que l’auteur sait ou devait savoir qu’elles proviennent d’une activité criminelle, ou;
3° dissimuler ou déguiser délibérément la nature, l’origine, l’emplacement, la disposition, le mouvement ou la propriété des choses visées au 1° alors que l’auteur sait ou devait savoir qu’elles proviennent d’une activité criminelle.

Le blanchiment existe, même lorsque l’infraction d’où proviennent les avantages patrimoniaux, les biens ou valeurs qui leur ont été substitués ou les revenus de ces avantages investis, a été commise à l’étranger et ne peut pas être poursuivie en Belgique.

Cette infraction est punie d’une peine de niveau 3.

Par dérogation à l’article 52, § 1er, alinéa 2, le juge peut prononcer, à titre de peine accessoire, une amende de 200 euros à 2.000.000 euros ou d’un montant pouvant s’élever jusqu’à une somme équivalente à la valeur des biens blanchis.

Par dérogation à l’article 53, § 2, alinéa 1er, 1°, les choses qui forment l’objet du blanchiment sont confisquées même si la propriété n’en appartient pas au condamné, sans préjudice des droits que les tiers peuvent faire valoir sur ces choses. »

L’article 503 prévoit des facteurs aggravants : 


« Les facteurs aggravants du recel et du blanchiment

Lors du choix de la peine ou de la mesure et de la sévérité de celle-ci, pour une infraction visée dans la présente section, le juge prend en considération le fait que:

1° l’auteur avait connaissance qu’un mineur ou une personne en situation de vulnérabilité a été utilisé pour commettre l’infraction d’où proviennent les avantages patrimoniaux blanchis;
2° les avantages patrimoniaux recelés ou blanchis proviennent d’une infraction punissable d’une peine de niveau 7 ou 8 et que l’auteur avait connaissance des éléments auxquels la loi attache une telle peine;
3° l’auteur de l’infraction est une entité assujettie visée à l’article 2 de la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) n° 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission, établie en Belgique, dans un autre pays de l’Espace économique européen ou dans un pays tiers qui impose des obligations équivalentes à celles prévues par la directive précitée, et a commis l’infraction dans l’exercice de ses activités professionnelles;
4° l’infraction est commise dans le cadre d’une organisation criminelle. »


Et enfin, l’article 504 du nouveau Code pénal reprend la cause d’excuse absolutoire commentée ci-avant. 

« La cause d’excuse d’exemption de peine

Les entités assujetties telles que visées à l’article 5, §§ 1eret 4, de la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces, ainsi que leurs administrateurs, préposés et mandataires, sont exempts de peine pour les infractions visées à l’article 502, alinéa 1er, 1° et 3°, dans la mesure où, en ce qui concerne les faits concernés commis dans le cadre de la fraude fiscale autre que la fraude fiscale grave, organisée ou non, ils se sont conformés à la législation et à la réglementation en matière de lutte contre la fraude fiscale y compris celles découlant de la loi précitée du 18 septembre 2017. »


1 Modifié par la loi du 12 juillet 2023 précité à l’occasion des infractions d’abus de confiance et d’escroquerie.
2 Cass., 21 juin 2000, Pas., 2000, I, n° 387.
3 Bruxelles (12e ch.), 17 juin 2010, Dr. pén. entr., 2011, liv. 2, p. 147 : « Le seul fait pour une personne de faire transférer directement et de manière traçable sur des comptes bancaires ouverts à son nom les fonds qui proviendraient d’abus de biens sociaux, d’abus de confiance, et d’escroqueries dont il serait l’auteur, co-auteur ou complice, ne peut constituer une dissimulation ou un déguisement de l’origine de ces fonds ».
4 Corr. Bruges, 28 juin 2005, réf. 1657/05, inédit, cité in « Le recel et le blanchiment », in Les infractions contre les biens, 1re éd., Bruxelles, Larcier, 2008, p. 487.
5 Corr. Bruxelles (49e ch.), 22 septembre, 2011, Rev. dr. pén., 2012, liv. 32, p. 1541.
6 Ibid.
7 Ibid.
8 M.-L. Cesoni et D. Vandermeersch, « Le recel et le blanchiment », op. cit., pp. 581 et 582.
9 Inséré par la loi du 10 mai 2007 portant diverses dispositions en matière de recèlement et de saisie, M.B., 22 août 2007.
10 Modifié par la loi du 15 juillet 2013 portant des dispositions urgentes en matière de lutte contre la fraude, M.B., 17 juillet 2013.

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